Atelier d'écriture

L’atelier d’écriture est l’occasion de jouer avec les mots, de faire entendre sa voix, d’écouter celle des autres, de se découvrir. C’est avant tout une expérience ludique, le plaisir de réaliser quelque chose et de le partager. À chaque séance l’animatrice propose de nouvelles consignes, qui servent de point de départ à l’écriture. Cette règle du jeu, par son aspect contraignant, permet de libérer l’imagination. On n’est plus devant une inquiétante page blanche, mais devant une proposition d’écriture, qu’on pourra à son gré suivre de près ou subvertir discrètement. C’est ce qui fait tout le sel de la lecture des textes : on se rend compte que chaque participant a traité la consigne de façon personnelle, provoquant la surprise, le rire ou l’émotion. Les échanges, qui se font dans un esprit curieux et bienveillant, permettent à chacun de prendre du recul sur son propre texte.

Quelques textes du 8e atelier


Le jeu oulipien ABA 

Cela avait commencé à la Maison des Associations du 12e un soir d'hiver.
Au premier, l'atelier « identification de champignons » tentait vainement de se dérouler dans la joie habituelle. 
Dans le bureau d'à côté, les gens parlaient tellement fort qu'on ne s'entendait plus penser. 
Je tentais de me concentrer car l'espèce qui osait question suscitait la polémique : une coulemmelle à poils drus ou un bolet au béret mou ? 
De part et d'autre, les arguments fusaient, mais c'est la voix d'Aristide, claire et convaincue, qui finit par prendre le dessus. 
Lorsqu'il affirma avec une arrogance certaine que leur amateurisme le laissait perplexe, Robert furieux se leva en brandissant son poing, et l'écume aux lèvres, le traita d'amanite persiflante. 
La porte s'ouvrit avec fracas, et tout le groupe du bureau d'à côté fit irruption dans notre salle. 
Je découvris alors qu'il s'agissait d'un atelier nudisme. Je n'en croyais pas mes yeux. 
Je ne pouvais pas rester comme cela. Il était temps d'agir. 


Tout commença un jour de soleil, avec l'atterrissage gracieux d'une délicate coccinelle. 
Si frêle, si rouge, elle se mit à croquer une salade pour prendre de forces et rouler un peu des mécaniques. 
Quand tout à coup le crapaud s'exclama : « Eh ! La bête à bon Dieu ! Tu cherches les ennuis ou quoi ? » 
La coccinelle ne se laissa pas démonter, prit son envol et lâcha telle une poignée de mini-confettis les petits points noirs de sa jupette, en plein dans le coin des légumes, en chantant : « Je suis le printemps ! » 
Personne ne s'expliquait pourquoi au milieu du potager avait poussé un poivron qui intriguait par sa robe bleue ourlée de petits pois violets. 
Le crapaud s'exclama cette fois-ci : « Où sont passées les cigognes ??? » 
Le pinson chantonnait sans cesse, et, à chaque fois qu'il se posait sur une branche, un bourgeon apparaissait. 
Le crapaud se sentit amoureux et décréta : « L'hiver est fini ! » 
Le petit insecte l'avait effectivement prédit. 


Phineas, le gros chat tigré de la concierge, avait encore déposé une souris morte sur le paillasson de Monsieur Raymond. 
Cela devenait systématique : dès qu'il mettait la truffe dehors, ce chat se mettait à la poursuite de ces petits rongeurs. 
Monsieur Raymond commençait à ne plus supporter les offrandes de Phineas car il taisait bien profondément que le grand gaillard, champion départemental de lutte grecque qu'il était, souffrait honteusement de phobie des souris. Puissent-elles être trucidées par un habile greffier. 
Il finit par asperger son paillasson d'un très puissant répulsif, mais le lendemain une surprise l'attendait.
Tout portait à croire qu'il s'agissait d'une crotte vengeresse. 
« Trop, c'est trop » se dit-il, alors qu'il enfilait sa combinaison de lutteur, bien décidé à mater le félin retors de cette stupide concierge. 
En effet, Monsieur Raymond avait battu en finale en 2012 l'amant secret de la concierge qui avait ainsi perdu son titre. 
« Elle ne sait vraiment pas s'entourer, cette bonne femme : un amant déchu de son titre, et maintenant un chat à trois pattes. » 
Décidément, Monsieur Raymond préférait les chiens. 

*

Longtemps j'ai aimé boire du café éthiopien.
Dans le passé, j'avais te,nu une boutique de thé pendant de nombreuses années, mais la découverte du café éthiopien avait été une révélation pour moi. Le lendemain, j'étais dans l'avion pour aller à la rencontre de ce café précieuse. 
Mon fauteuil était confortable ; je pus m'endormir profondément en rêvant d'un champ de culture de café. 
L'odeur du café industriel proposé par l'hôtesse me chatouilla le nez. 
L'avion avait enfin atterri sur le tarmac et je fus accueilli à bras ouverts par mon correspondant local, Pedro Locharez. 
Avec un large sourire, il m'expliqua qu'il était heureux de me revoir et que je ne serais pas déçu par la visite de mon usine de matériel automobile. 
Pedro se mit à parler javanais, et j'eus beau me nettoyer les oreilles, je ne comprenais rien. 
Je fus sorti de mon sommeil par une secousse ; l'avion venait d'atterrir. Une chose est certaine, l'hôtesse avait forcément mis un truc dans mon verre, ce qui m'a fait un peu voyager. 
Je ne connaitrai jamais la vérité, mais ma version me convient.

*  

Robert envoya promener tout le monde sur un ton très autoritaire. 
Jean-Claude trouva ce traitement vraiment injuste : son équipe avait bien travaillé ; ce n'était pas de leur faute si le patron était de mauvais poil. 
C'était inconcevable pour lui : devant tant d'adversité, il fallait... il aurait pourtant fallu réagir ! C'était plus possible que Monsieur Durantel fasse tourner l'usine ainsi. 
Mais Jean-Claude n'eut pas le courage de s'opposer au patron, pas plus que ses coéquipiers ; et c'est une ouvrière, Carine, qui osa dire ses quatre vérités à Robert Durantel. 
Pour la première fois de sa longue vie, une femme lui tenait tête. En une seule phrase, elle réussit à lui dire ce que personne n'avait jamais dit. 
« Patron, dit Carine fermement, vous nous faites chier. Allez faire un tour dehors et revenez quand vous serez calmé. » 
Cette phrase si juste résonnait encore dans sa tête... alors qu'il refermait sèchement la porte derrière lui.
Il aurait pu virer l'insolente Carine pour insulte à patron, c'était certainement une faute grave ; mais au fond de lui il savait qu'elle avait raison. Il préférait se promener le long des quais, seul. 


Le chat n'appréciait vraiment pas d'être dérangé durant sa sieste. Hélas, ce jour-là, il fut réveillé par la sonnerie du téléphone. 
« Tuituituituituituituitutitui... » 
Une sonnerie reproduisant le bruit d'une petite souris, ce n'était tout de même pas commun. 
Pourtant, à force, il s'y était fait... quoique cela lui hérissait tout de même encore quelques poils. 
Il bondit sur la commode, puis il s'agrippa à la tringle du rideau en miaulant désespérément, puis il sauta sur la rambarde du balcon. 
Ses moustaches frétillaient : « La tarte au citron meringuée ! » Ses yeux brillaient. Il salivait. 
Elle était là, devant lui, exposée sur le balcon du voisin. Il en avait tant rêvé. 
Il se posta devant et découvrit alors qu'il ne s'agissait là que d'une nature morte... que son voisin venait de finir et faisait sécher au grand air. 
Tout ça pour ça, se dit-il en s'étirant et en regagnant le confortable fauteuil du séjour. 


Sylvie était installée sous le chêne de son jardin, quand le téléphone sonna. L'intrusion sonore l'arracha à peine à ses doux vagabondages imaginaires.
Indifférente au reste du monde, elle poursuivait tranquillement ses rêveries du moment. 
Pourtant la sonnerie insistait, la ramenant bien malgré elle à la réalité qu'elle refusait de retrouver pour l'instant.
Quand Didier téléphona pour la cinquième fois, elle se demanda si ça valait la peine de décrocher.
Didier, l'anti-rêve, l'homme concret, que ne s'était-il satisfait d'un message ? 
Toute somnolence avait complètement disparu. Sylvie se sentait tendue et sur le point de hurler sa rage au premier venu. 
Elle ramassa un jeune gland tombé du chêne, sa forme si dessinée l'entraîna dans les scènes épiques des tapisseries des Gobelins, loin de ce rabat-joie de Didier. Elle s'apaisa. 
Elle siffla son chien et décida de ne jamais plus y repenser.