Listes en « Je me demande… »
Je me demande combien de temps je vais me reposer.
Je me demande si je vais me lever ce matin.
Je me demande s'il m'aime, pour me pétrir le corps comme ça.
Je me demande à quoi il pense quand il me lacère au rasoir.
Je me demande pourquoi il touche ma croûte.
Je me demande pourquoi il me sort, s'il fait assez chaud.
Je me demande pourquoi il me mord.
Je me demande pourquoi les gens ne m'aiment plus.
Je me demande ce que la tradition a de plus que moi.
Je me demande si je ne vais pas finir jetée.
Je me demande si je ne vais pas trouver le temps long comme un jour sans pain.
Manuel
Je me demande ce que je pourrai bien me demander pour écrire quelque chose
Je me demande si j’ai bien éteint ma clope avant de partir
Je me demande si ma cravate verte à rayures jaunes sur ma chemise turquoise est vraiment de bon gout
Je me demande si j’ai des certitudes
Je me demande si, un jour, les gens reliront leur Histoire avant de recommencer éternellement les mêmes conneries
Pierre
Fables avec morale
Regardez-le, Pierrot l’crâneur
Avec ses airs de grand seigneur
Et puis qui roule et qui s’trémousse
Pour attirer des brunes, des rousses
Mais au moment de leur langueur
Prêt ’à offrir leurs faveurs
Une fois envolée la housse
Un fort parfum de la cambrousse
Elles découvrent son odeur
Et elles s’enfuient avec frayeur
Voilà l’image qui s’émousse
Réalité qui les repousse
Pour lui, toilette est un labeur
Toujours remis à tout à l’heure
Pas de savon qui éclabousse
De marseillais amande-douce
Point ne suffit d’être frimeur
Si l’on n’est pas aussi laveur
Evidemment ça le courrouce
Pierre qui roule n’amasse pas mousse
Pierre
La petite ville de Couchetôt vivait tranquille. Si parfaitement tranquille que même ses édiles finirent par s'en inquiéter. Pas le moindre attrait : pas la moindre grotte de Lascaux, pas le moindre Mont Saint-Michel, pas le moindre château de la Loire, pas la moindre Tour Eiffel. La seule mare au Diable de Couchetôt avait été comblée depuis longtemps. Il fallait à Couchetôt une attraction qui amène les touristes et dont les habitants puissent enorgueillir. Idéalement, sa place serait au centre du village, pour rayonner au moins jusqu'aux frontières du canton.
L'absence de ruines quelconques dans les environs repoussa toute possibilité de montrer un vestige. Le fait que Couchetôt ne soit pas en Bretagne exclut aussi la possibilité d'exposer un menhir, si Carnac avait été disposée à en céder un.
Pour marquer les esprits, il fut décidé de commander une statue. Mais que pourrait-elle représenter ? La société savante du département fut consultée. Le sujet devait être historique, sans être sanglant, ancré dans le passé, mais empreint de modernité. Après plusieurs relances, la sous-commission des affaires culturelles communiqua le fruit de ses recherches : Couchetôt avait été bâtie sur les terres d'une abbaye voisine. Justement cette abbaye avait comme principal fait d'arme d'avoir accueilli une nuit le Roi Louis, lors de sa tournée de sacre. Il se serait écrié le matin en se réveillant : « Sacrebleu ! J'ai sacrément bien dormi ! ».
Enthousiasmé par un fait historique aussi important, le conseil municipal commanda immédiatement une sculpture magistrale à un enfant du pays. Le sujet serait « moine tendant un oreiller ». L'enfant du pays s’appelait Patrice Labit. Sculpteur à la ville, il s'était replié dans les essarts de Couchetôt. Les huissiers de la grande ville abandonnaient leurs recherches, désemparés par le climat, l'entretient des routes, et la manière bizarre de parler des habitants, du moins ceux qui voulaient bien leur répondre.
Mais Patrice Labit était un authentique sculpteur. Il se réclamait de Léonard de Vinci. Il accepta d'autant plus volontiers la commande qu'il était dans une période de vaches maigres. Patrice Labit manœuvra si bien le conseil municipal qu'il encaissa le prix de la statue avant de donner le premier coup de ciseaux. Entraînés par la vision d'un monument grandiose, ces paysans, qui passaient des heures à négocier sur le marché le moindre sou avec un maquignon, le payèrent d'avance, encouragés par le bonhomme.
« Vous savez, ce n'est pas avec une histoire de pierre que je vais vous rouler. »
L'inquiétude finit par les gagner au bout de plusieurs semaines. Ils n'avaient pas d'autres nouvelles du sculpteur autrement que par le tenancier du bar. Commençant à regretter leur précipitation, la totalité du conseil municipal se rendit à « l'atelier d'artiste ».
Les élus furent accueillis par le maître en personne. Il les emmena faire un tour à l'extérieur de sa maison pour admirer les belles terres qui jouxtaient le lieu. Patrice Labit gagna encore un peu de temps en comparant les différentes récoltes portées par lesdites terres. Il fut quand même pressé de montrer son œuvre. Le maître consentit de manière exceptionnelle à accepter des visiteurs en son atelier. Là, une modèle aux formes sculpturales (mais habillée) était allongée sur une banquette avec le même regard qu'une odalisque. Un peu intimidés, les hommes mirent du temps à trouver le grand drap qui trônait au milieu de l'atelier, et qui couvrait une forme indistincte. Le regard courroucé de l'artiste les dissuada de dévoiler l’œuvre. Un oreiller sur une colonne acheva de les persuader que le « moine présentant un oreiller » était bien avancé. Chacun pris congé, satisfait de ce qu'il avait vu, au point que Patrice Labit toucha une belle rallonge au titre de pénibilité du travail.
Hélas, le temps passait, mais aucune date d'inauguration n'était annoncée. Le conseil municipal reprit courage et retourna à l'atelier d'artiste. Les édiles découvrirent avec effroi qu'il avait déménagé à la cloche de bois. La maison était vide, l'atelier était vide, la colonne à l'oreiller avait disparu, ainsi que la modèle. Pas la moindre trace de la commande, pourtant chèrement payée.
Sur la porte d'entrée était épinglé le mot suivant : « P. Labit ne fait pas le moine ».
Manuel
Portrait de famille
Ah ! Les portraits de famille, ces regroupements lors de mariage, de baptême, de communions, de réveillons ou autres…
Et vas-y que je te mets les gamins devant, de part et d’autre des grands-parents, et puis les couples par ordre de taille ou de hiérarchie…
Quelle idée de faire un mètre cinquante-trois quand on est la grande tante ou de mesurer un mètre quatre-vingt-dix pour un tout petit cousin.
La nature ne respecte vraiment pas l’ordre familial.
Et puis il faut caser l’autre là, encore seul(e), tellement traumatisé(e) par ce cocon protecteur, qu’il ou elle n’aura jamais la chance de vivre une belle histoire.
Faut vous dire, Monsieur…
Enfin, une fois tout le monde bien alignés, bien plantés, après qu’un coup de vent nous ait permis de courir récupérer les chapeaux envolés, voici le merveilleux portrait d’une famille heureuse et unie…
C’est l’esprit… Comme pour les sportifs… Un esprit, une équipe… Un esprit, une famille… Jamais eu l’âme d’un supporter…
Et puis, commence l’attente interminable du sourire commun, le sourire le plus naturel du monde… Celui des stars d’Hollywood !!!...
Cheeeeeeeeeeeeeeeese…
En été, vous avez le temps de prendre un bon coup de soleil sur le nez et de vous offrir la crève du siècle en plein hivers.
Avant, j’avais trouvé la combine pour échapper à ce sourire monstrueusement hypocrite. Je prenais moi-même la merveilleuse photographie. Mais, maintenant, on fait appel à des professionnels.
Alors là, vraiment, je hais les photographes…
Je me demande si l’évocation ‘’Réunion de famille’’ ne me hérisse pas le poil…
Comme c'était la tradition, après le repas de Noël, c'était le moment de la photo de famille. La tante Marie battait le rappel dans toute la maison.
Dans la cuisine, la cousine Marthe reprenait en toute discrétion du fondant au chocolat qu'elle avait laissé passer.
La chambre était encombrée de manteaux des invités. La tante Marie y débusquait généralement la cousine Bette, qui profitait du calme pour faire une petite sieste réparatrice.
L'oncle Vania s'était réfugié dans le garage, il supportait mal sa belle-famille. Il trouvait donc au moment du repas de Noël un tas de choses à ranger à l'autre bout de la maison.
Dans le jardin, suffisamment éloigné des fenêtres de la salle à manger, les ados s'étaient isolés pour discuter entre eux et, oh horreur, fumer une ou deux cigarettes.
La tante Marie, véritable berger, avait fini par débusquer le petit dernier, rentré au fond d'un placard lors d'un jeu de cache-cache et qui ne voulait pas sortir, croyant qu'il s'agissait d'un piège.
Enfin, quand tout le monde fut rassemblé, il fallut ordonner. Les petits devant, les grands derrière. C'était l'idée générale, pendant que les grands se levaient pour rasseoir les petits.
Cette année là, Cousin Alfred avait un nouvel appareil numérique. Mais cette bête était difficile à dompter. Cela faisait trois fois qu'il courrait pour se placer au milieu et que la photo se déclenchait avant.
L'oncle Damien refusa absolument de dire cheese, comme tous les autres. Comme tous les ans, il scandalisa ses belles-sœurs en criant « Sexe ! Sexe ! Ouistiti ! ». Comme tous les ans, les enfants ricanèrent.
Un peu fatiguée la cousine Marthe annonça que si la prochaine prise n'était pas la bonne, elle retournerait chez elle à cause de la nuit qui tombe.
Cousin Alfred régla son appareil, prêt à reprendre un cliché. A peine posé, l'appareil photo tomba, aux grands cris de consternation de toute la famille. L'écran était cassé, le boîtier des piles était déboîté, le bouton du déclencheur déboutonné. Il fallut arrêter là la séance de pose. C'est sur cet événement malheureux que la réunion prit fin.
Quand Alfred examina la carte mémoire sur son ordinateur, il vit qu'en touchant le sol, l'appareil avait pris une ultime photo : alléchées par les cheese répétés, sous la plinthe du mur, une famille de souris hilare contemplait la scène.
Manuel