Choses qui me font peur
Privilégié, né cinq ans, jours pour jour après Yalta, fils de personnes ayant vécu une guerre, petit-fils d’une autre en ayant vécu deux et arrière-petit-fils de pauvres gens en ayant vécu trois, je ne pense pas savoir ce qu’est réellement la peur.
Alors, pour ce qui est de mes vraies peurs…
- Les fascistes
- La guerre
- Donc, la connerie humaine.
Et pour ce qui est des de la vie de tous les jours…
- Peur de rencontrer la voisine du 5ème lorsque je suis pressé
- Peur que ma Chérie rencontre un homme plus beau, plus riche et plus intelligent que moi…
Mais je dors tranquille, ça n’est pas pour demain… Elle adore ma modestie…
Pierre
Description d'un sac, puis du personnage à qui il appartient
Je suis toujours agacée quand dans des toilettes publiques on ne trouve aucun porte-manteau où accrocher son sac, mais pour une fois je comprends en quoi ça peut être utile de le laisser par terre plutôt que suspendu à une patère. Cette femme a oublié le sien ! Un sac entrouvert c’est une invitation… D’ailleurs, sans même y toucher je vois déjà la moitié de son contenu, alors allons-y.
Une longue étole rouge en cachemire qui a l’air d’avoir coûté encore plus cher que le sac, un étui à lunettes Dior (rien que ça), une trousse à maquillage Givenchy, une liasse de feuilles agrafées entre elles remplie de caractère d’une langue inconnue. Un flacon de parfum à l’effigie de Paris Hilton (je reconnais l’odeur de l’étole, beurk), des tickets de carte bancaire à n’en plus finir et un portefeuille. Rien moins qu’un Gucci doré de très mauvais goût, probablement acheté au Bon Marché par l’une des nombreuses cartes de crédit qu’il renferme toutes gravées de cette même langue inconnue.
Qui d’autre que Google pourrait me dire de quelle langue il s’agit ? Ok Google, une petite photo pour assouvir ma curiosité avant d’aller déposer le sac à l’accueil. Tiens, ben alors Google, comment ça « aucune correspondance, langue non reconnue » ?
Elisa
Svetlana est furieuse. Comment a-t-elle fait pour égarer son sac à main. Elle n'arrive même pas à savoir à quel moment de la journée cela s'est produit. Arrivée à Paris depuis seulement 6 mois, elle ne parle guère français et ne fait pour ainsi dire aucun effort pour l'apprendre.
Sa vie se résume à des voyages en jets privés, des dîners dans des restaurants prisés et des nuits à la rémunération très attractive dans des hôtels 5 étoiles. Son allure est féline, 1,80 m, une taille fine et des fesses rebondies. Tous les mois, Svetlana ravive sa couleur de cheveux chez Alexandre de Paris, la teinte "Blond glamour" qui fait tant ressortir le vert de ses yeux. Toujours trop parfumée, trop maquillée, trop manucurée, elle respire l'excès et le vice.
Bien qu'elle n'ait que 20 ans, elle en parait 10 de plus. La faute au rythme infernal de sa vie d'escort girl. Son visage se creuse plus vite qu'il ne le faudrait. Alors pour rester belle, Svetlana s'offre des séances de botox mensuelles grâce à la générosité de ses clients fortunés.
Sa Russie natale ne lui manque absolument pas. Pas plus que son ancienne vie là-bas. Dédaigneuse et hautaine, elle ne trouve son bonheur (croit-elle) qu'à travers l'argent. Son passe-temps favori est d'arpenter l'avenue Montaigne juchée sur des stilettos de 12 cm, au bras d'un riche homme d'affaires.
Svetlana sors de sa rêverie, le taxi est arrivé à destination. N'ayant pas de quoi se remaquiller, elle réajuste à la va-vite sa coiffure en jetant un regard furtif dans le rétroviseur et ouvre la porte.
Un homme à l'allure étrange semble l'attendre sur le parvis de l'hôtel. Un sourire se fige mécaniquement sur son visage. Svetlana s'approche de l'homme, se penche vers son oreille et lui chuchote des mots incompréhensibles tout en l'embrassant.
Justine
*******
En me promenant à l’arrière de l’Elysée, j’ai trébuché sur les poubelles.
Un sac poubelle est tombé du container.
Je m’en suis emparé discrètement en faisant attention de n’être pas repéré par les policiers en faction devant le bâtiment.
Arrivé chez moi, j’ai ouvert le sac et y ai découvert :
- des talonnettes qui devaient appartenir au précédent résident,
- des boîtes de caviar et de foie gras vides mélangées avec des bouteilles de champagne. Visiblement, le tri sélectif n’est pas respecté,
- des tracts et affiches de campagne électorale qui ne serviront pas à l’actuel président,
- un discours froissé qui commençait par « Mes chers compatriotes »,
- une capsule vide Nespresso,
- et quelques rumeurs nauséabondes…
Eric
*******
Étonnant, en général, les femmes qui s’offrent ce genre de sac ne l’oublient n’importe où.
Voilà ce que je me suis dit lorsque je me suis assis sur ce banc du parc Montsouris.
Un Le Tanneur !
Ah, avec un sac pareil, la garniture devrait être en rapport avec l’emballage.
Quelques billets de cinquante euros m’arrangeraient bien en ce moment.
Horrible personnage !!!... ‘’ N’as-tu pas honte ???...’’
J’ouvre le sac, et : téléphone, trousseau de clefs, chéquier, trousse de maquillage, tout-en-un, vernis à ongles.
L’attirail normal de la gente féminine, avec en plus, les éternelles babioles absolument indispensables: Un bout de ruban, une fève de galette bleue, bleu, pas la galette, le schtroumpf, quelques photos et un bout de ficelle usagé.
Bon ! J’ouvre le tout-en-un : carte d’identité avec adresse, un calepin avec numéro du fixe de Madame, les multiples cartes de fidélité, Printemps, Galeries La Fayette, Chantale Rosner et autres Un Deux Trois, et, tiens, une carte de membre d’un club d’arts martiaux…
Allez !! Vite !!! J’appelle avant que l’envie de chaparder ne me reprenne…
Dissuasifs les arts martiaux… Non ???...
Pierre
*******
Nul doute que ce sac appartenait à une courageuse adolescente qui faisait du baby-sitting.
Elle devait se rendre chez les parents d’un charmant bambin qu’elle avait décidé d’occuper avec le puzzle de 45 pièces et avec le petit hérisson en peluche tout mignon.
Mais elle n’avait pas dû trouver une famille facile, la pauvre, car il y avait de toute évidence un grand frère dont il fallait qu’elle s’occupe également puisqu’elle avait acheté Auto-moto magazine. Parents radins, deux enfants à garder pour le prix d’un.
L’appartement devait être mal chauffé de surcroît. Aussi avait-elle pensé à emmener deux paires de chaussettes et du thé pour se réchauffer.
Prévoyant qu’elle n’arriverait pas à leur faire avaler leur purée insipide et qu’ils s’énerveraient pendant le repas, elle avait décidé de les amadouer en commandant chez le traiteur japonais. En attendant d’être livrée, elle leur passerait à la télé le DVD du documentaire « La marche de l’empereur ».
Et si malgré cela, les enfants étaient insupportables, elle pourrait prendre du doliprane pour calmer son mal de tête.
Elle essaierait de les endormir en lisant les plus belles pages du dictionnaires en commençant par le lettre Z.
Si elle y parvenait enfin, elle aurait bien mérité de se reposer. Elle s’allongerait à son tour sur le canapé, et le chat de la maison, repu du lait qu’elle lui aurait gentiment servi dans sa petite gamelle, grimperait sur ses genoux en ronronnant tendrement pour la remercier.
Elle attendrait que le chat soit endormi pour jouer à son tour…au thanatopracteur.
D’un coup sec, elle transpercerait le cœur de l’animal avec son stylo vert puis elle arracherait les yeux avec le trombone et elle le ferait bouillir dans sa bouilloire en plastique noir.
Elle prendrait alors son téléphone portable pour faire un « selfie » qu’elle adresserait au gourou de la secte satanique qu’elle fréquente assidument et dont elle avait noté le numéro de téléphone sur la serviette sur laquelle elle avait dessiné la tête de mort.
J’eus alors un grand frisson dans le dos et plutôt que de rapporter le sac au conducteur du bus, je décidai de pousser la porte du commissariat pour faire part de ma découverte.
Eric
*******
Sous un banc, près de la plage, un sac de cuir marron, un cuir patiné et mou, de taille moyenne, semble avoir été abandonné. Une grande anse, en cuir elle aussi, plus rigide cependant, permet de porter ce sac à l'épaule. Un crissement sec se fait entendre quand je tire sur le zip de la fermeture éclair.
L'intérieur est sombre et imprégné d'une odeur forte, un peu animale. Ces effluves de peau et de tabac me font penser aux souks marocains que j'aime tant. Je tire alors sur un bout de tissu coloré, bordé de franges se terminant par de gros pompons. J'extirpe l'immense pashmina du sac, faisant tomber par la même occasion une pochette noire. Ou plutôt un carnet. Un carnet de route sans doute. Je le mets de côté et le lirai plus tard.
Continuant mon exploration, mes doigts effleurent un objet coupant. Aïe! C'est une sorte de long couteau au manche gravé, parsemé de verroteries aux milles couleurs.
Je continue de fouiller. Des lunettes de soleil cassées, un livre écrit en hébreu, des sachets contenants ce qui ressemble à des feuilles séchées, et la photo d'une femme. J'observe de plus près ce tirage noir et blanc. C'est une femme très belle, à la peau brune et aux yeux en amande. Son regard paraît mélancolique, les lèvres légèrement entrouvertes forment un semblant de sourire. Elle à l'air triste.
Au fond du sac, d'autres photos de cette même personne se trouvent mêlées à la poussière. Je tâtonne le flanc intérieur du sac, sens une poche secrète. Je l'ouvre, regarde, et pousse un cri.
Justine
C’est une grande femme, une très grande femme même, et forte. La veste vert-de-gris rapiécée qu’elle porte été comme hiver a l’air d’avoir vu du pays, autant que sa paire de botte sale et râpée qui racle le macadam de la jetée. De ses voyages elle a rapporté des tas de breloques, certaines qu’elle porte sur elle : sur ses vêtements des broches et des écussons, dans ses cheveux des fils tressés, des plumes, des perles. Ses ongles semblent à jamais noircis et ses dents jaunies par le tabac qu’elle chique. Si on s’aventure à regarder dans ses yeux, c’est une rage froide qu’on y trouve et on frissonne rien qu’à imaginer toutes les choses qu’ont pu voir ses yeux pour en arriver là.
Avec son allure on pourrait croire que c’est une sans-abri, et on n’aurait pas tort de le penser, mais son histoire à elle n’est pas sous une tente ou sous un pont, son histoire, elle est sur les routes. Elle ne sent pas mauvais. Elle sent l’encens et les épices, elle sent la route et tous les endroits qu’elle a visités, mais elle y cherchait quoi ? Dans sa poche gauche il y a des pièces et du sable parce qu’elle a dormi sur la plage. Dans sa poche droite il y a des miettes, des papiers, des allumettes. Dans la poche arrière de son vieux jeans délavé il y a une photo, de temps en temps elle la sort et la fixe pendant longtemps avec toujours ce regard dur. Sur sa photo, un groupe de jeunes gens souriants pose en noir et blanc, l’un d’entre eux n’a plus de tête : son visage a été coupé aux ciseaux. Dans la poche avant, un morceau de tissu sale et humide dont la couleur ne peut faire penser qu’à une chose : du sang.
*******
J’ai trouvé un sac à dos en cuir marron aujourd’hui. Je l’ai ouvert par curiosité.
Il y avait une montre, un petit bloc-notes presque rempli de croquis et un appareil photo.
Ah, il s’y trouvait aussi un paquet de mouchoirs et un baume à lèvres.
- La montre était en plastique orange au niveau du bracelet. Elle n’était même pas à l’heure. Il doit s’agir d’un souvenir.
- Le bloc-notes était gris et contenait des pages à petits carreaux. Les croquis à l’intérieur représentaient des personnes au quotidien. Il y avait, par exemple, un serveur, une femme sous la pluie et aussi un enfant au parc.
- L’appareil photo était jetable, un peu rayé sur l’avant.
- Le paquet de mouchoir était entamé. Il restait deux mouchoirs verts, senteur menthe.
- Le baume à lèvres était neuf.
Cynthia
Il a perdu son sac
Non mais quelle crève !
Trois jours avec le nez qui coule, les lèvres sèches et un mal de crâne carabiné.
Trois jours ! Et ça le rendait moitié abruti. A tel point que Paul en avait perdu son sac et il se demandait bien où.
À question idiote, réponse idiote, si je savais où, je ne l’aurais pas perdu, et ce n’est pas avec ce genre de philosophie que je vais terminer mon bouquin, pensa-t-il.
Il lui restait huit jours, il avait promis à l’éditeur et il ne s’en sortait pas. Empêtré dans ses personnages, un serveur célibataire, une femme divorcée sous la pluie et un enfant dans un parc, il entrevoyait un retard bien plus important que celui de sa montre de premier communiant, perdue avec le sac.
Et son bloc-notes, le bloc-notes gris à petits carreaux avec ses personnages qu’il avait griffé en attendant l’inspiration, envolé le bloc-notes. Pour illustrer ses livres, Paul n’aimait pas beaucoup les photographies. L’instantané de celles-ci ne laissait pas son esprit voyager et il se moquait bien de cet appareil photo jetable, acheté il y a bien longtemps et perdu, lui aussi.
Il se remit à cogiter.
Bon ! Je reprends ! L’enfant, c’est forcément celui de la dame, la dame, elle, est seule depuis bien trop longtemps et le serveur s’ennuie ferme dans son célibat. Ah, non, mais quelle crève !!!...
Attablé devant son grog, dans le troquet face au square, Paul cherchait vainement l’inspiration dans son cerveau empêtré et un mouchoir dans le fond de sa poche, lorsque, ruisselante de la pluie qui tombait abondamment, une femme surgit, un gamin à la main.
Souriante, elle expliqua au garçon, soudain très attentif, que son fils qui jouait au parc avait trouvé ce sac en cuir marron et qu’elle désirait le déposer ici, au cas où, quelqu’un essaya de le récupérer…
Paul bondit de sa chaise…
Pierre