Inventaire de mes sens
Je voudrais goûter un cadavre exquis, car si on dit que c’est exquis, c’est que ça doit être bon.
Je voudrais entendre le coq chanter tous les matins sous mes fenêtres.
Je voudrais voir décoller une fusée emportant Marine Le Pen, Donald Trump et Kim Jong-un* très loin dans l’espace.
Je voudrais toucher la fourrure d’un koala.
Je voudrais sentir bon, tout le temps, en toutes circonstances, notamment dans le bus par forte chaleur…
* liste non exhaustive…
Hélène
Bouts rimés
lunette/paupiette, polisson/bon, fumeur/chômeur, chanter/gouter, échelle/poubelle, chant/méchant, fleur/effleure, panthère/frère, renoncule/pellicule, bateau/gâteau, oiseau/roseau, pelage/orage.
Ajustant sur mon nez mes lunettes
J'ai parcouru le menu et choisi des paupiettes.
Je connaissais le cuistot, c'était un rigolo, un polisson,
Mais tout ce qu'il cuisinait était très bon.
Il interdisait son restaurant aux fumeurs.
Bourru, intransigeant, il voulait un respect absolu de son travail, mais il était généreux envers les chômeurs,
Il leur faisait un petit prix, en échange il leur demandait de chanter
En coeur à la fin du repas, et de goûter
Ses nouvelles créations, comme le gâteau en forme d'échelle,
Et tout ce qui n'était pas parfait passait à la poubelle.
Moi-même un peu chômeur, après avoir mangé j'ai entonné un chant.
Ça m'a demandé un effort, mais ce n'était pas bien méchant.
J'ai une assez belle voix de ténor, sans vouloir me lancer des fleurs,
J'aime bien chanter dans un groupe, quand chaque voix effleure
Celle des autres, comme une panthère
Qui frôle en passant le pelage de son frère,
Ou une renoncule
Qui reçoit le pollen des autres fleurs en fine pellicule...
Dans ma chorale on est tous dans le même bateau,
On partage souvent un gâteau,
On va voir les oiseaux,
Dans les jardins, on se promène entre les roseaux,
Et on caresse le pelage
Des chats qui passent entre les orages.
Vanessa
Sur la plage, je crus voir des coquillages,
Hélas, ce n’était que des mirages,
Contrairement à ce petit lapin,
Qui s’avança vers moi pour me faire un câlin.
« Je ne suis pas un ornithorynque ! »,
Me dit-il, « partageons un canon sur le zinc ».
J’avais plutôt envie de partir en balade,
Voire de m’essayer à l’escalade.
« Et pourquoi ne pas déguster des coquillettes ? »,
Proposai-je au lapin assis sur une serviette.
Il me semblait bien paresseux,
Et, sans pour autant ressembler à un gueux,
N’avait pas l’air d’être une lumière.
« As-tu déjà lu Molière ? »,
Me lança-t-il, et, grignotant du romarin,
Il m’expliqua qu’il devait aller au théâtre demain.
J’en avais assez de ce lapin et pensais à ce thé,
Oui, ce fameux thé qui débarrassait le corps de ses saletés,
Et je me dis que j’aurais préféré rencontrer un cacatoès,
Cela m’aurait évité ce pataquès.
Je l’interrompis en levant un doigt,
Et lui expliquai que j’étais attendu par le roi.
« Le roi de la saucisse ? »,
S’exclama-t-il. « Mais non, celui-ci est en coulisse.
Celui qui m’attend est né dans un couffin,
Et ne ressemble en rien à un pantin.
Après des rêves de jeunesse brisés,
Il décida de se marier,
Mais pas avant d’avoir vu des kangourous,
Ce qu’il fit en se cachant dans un trou.
Après cela, il revêtit des habits de velours,
Fit allumer tous les abat-jours,
Adopta la vie d’aristocrate,
Et s’entoura de technocrates.
Certains l’ont traité de sauvage,
Quand d’autres ont vu en lui un sage ».
Hélène
À partir d'un tableau
BOTERO,
Le rapt d'Europe
Allez, mon beau taureau, montre-moi qui est la plus belle, la plus svelte, la plus brillante ! Avoue que tu rêvais de m’enlever depuis longtemps ! Avoue que je hante tes jours et tes nuits depuis ce jour où, alors que j’étais totalement nue comme aujourd’hui, tu m’aperçus baigner mon corps de déesse dans la rivière divine !
Alors, oui, depuis, tu grattes la terre de ton sabot puissant, tu bandes virilement tes muscles, et de tes naseaux s’échappe un souffle moite et odorant… Enfin tu m’as trouvée ! Enfin je t’appartiens !
Oui, mon beau taureau, emmène-moi, moi qui te suis maintenant soumise, nos destins sont liés.
Oui, porte-moi, telle une reine de beauté, vers ce Palais que l’on nomme Bourbon, et auquel appartient désormais ma destinée.
Hélène