Inventaire : mes petites manies
Courrier en réponse à une petite annonce
Salut Roger,
Je suis content d'avoir de tes nouvelles.
Tu as bien mené ta barque avec la petite Beate ; mais tu sais, j'avais bien remarqué vos regards et vos sourires quand on la croisait dans le bar, votre relation n'était pas vraiment un secret. Quoi qu'il en soit, tu as une belle vie de famille aujourd'hui, c'est le principal.
De mon côté, j'ai beaucoup évolué depuis l'époque du service militaire ; ou plutôt, j'assume qui je suis vraiment. Je n'ai pas repris la boucherie de Papa, j'ai toujours détesté la viande ; je suis devenu acteur de théâtre, et je me suis installé avec mon compagnon Jean-Noël. Mon père a eu du mal à s'y faire, mais je ne voulais plus faire semblant. Ce n'est pas simple d'être homosexuel dans le milieu des petits commerçants ; et encore moins à l'armée, c'est pour ça que je faisais semblant de draguer les filles à l'époque du régiment. Mais tu vois, tu n'avais rien à craindre, je ne t'aurais pas piqué Beate. Je préférais son frère Helmut.
Si tu repasses en France, tu pourras me voir sur scène dans une de nos petites villes de Bretagne, je joue avec une compagnie itinérante, en ce moment nous montons La Puce à l'oreille de Feydeau.
Je te téléphonerai dès que possible, mais comme j'habite dans une "zone blanche" je dois attendre d'aller à Lorient pour cela. C'est pourquoi je te réponds par écrit, comme au bon vieux temps !
Réponse à Christophe
Christophe,
Peux-tu imaginer une seconde combien ta lettre m’a comblé de joie ?
Tu es d’ailleurs le premier à me répondre.
Oui, bien sûr, je me souviens de Brigitte mais je ne savais pas que tu en étais amoureux. Certes, comme tu l’écris, elle nous avait tourné la tête par sa beauté et son charme, mais en revanche, je n’avais pas le souvenir qu’elle avait choisi Jean-Pierre.
Que cela t’ait conduit à demander à tes parents de t’envoyer en pension à Caen me laisse pantois. Je veux croire que le choix de Brigitte n’était pas ta seule motivation pour quitter l’Immaculée Conception.
Il est vrai que l’ambiance de ce bahut était quand même spéciale.
J’y suis resté quant à moi jusqu’en terminale, avec, bien sûr des hauts et des bas. La prof de français dont tu parles dans ta lettre, je l’ai eue en seconde et en première. Au bout du compte, même avec sa voix nasillarde, je trouve qu’elle était une très bonne pédagogue. D’ailleurs, grâce à son apport, j’ai eu 17 au bac de français en première. Je suis tombé à l’oral sur un texte de Montherlant que nous avions étudié sous toutes les coutures. Son analyse m’a permis de sortir des arguments qui ont passionné l’examinateur. Enfin, tout cela est, bien sûr subjectif.
Je me rends compte à quel point Brigitte a influencé et même conditionné ta perception de ta vie sentimentale. Tu n’avais que 15 ans à l’époque. Il eut fallu que tu libères ton esprit de cette quasi-frustration.
Pour ce qui me concerne, je me suis marié. Je ne voudrais pas que ce que je vais t’avouer puisse ternir nos rapports : j’ai épousé….. Brigitte, et nous avons quatre enfants.
Je n’ai ni chien ni chat et je voyage souvent puisque je représente une boîte suédoise en France, Belgique et Pays-Bas.
Je suis toujours dingue de rugby et toujours catholique. Pas pratiquant mais fidèle à mes croyances, mais au fond, je serais plutôt athée.
Bon, à bientôt. J’espère te revoir malgré mon aveu.