Cadavre exquis
Longtemps je me suis couchée de bonne heure sous les toits de Paris. Mais ce soir-là...
Ce soir-là, tous les misérables étaient de sortie.
De sortie. Toute sortie était définitive, il se retrouva dehors à jamais.
Jamais on n'a vu un enfant se laisser mourir de faim.
Faim nous avions, aussitôt nous nous rassasions.
Rassasions. Nous avons bien bu et bien mangé, nous sommes en pleine forme.
Forme passive ? Ou active ? Cela importe peu. Il faut juste éviter les fautes de français.
*
Le rouleau de sopalin est tombé de l'armoire.
L'armoire contenait le cadavre de son amant qu'elle y avait caché il y a un an, mais qu'elle avait oublié.
Oubliées les promesses, les serments au clair de lune, les baisers volés...
Volés. Il faudrait songer à la sécurité, se disait l'inspecteur...
L'inspecteur des travaux finis était arrivé très en avance pour mieux détecter les failles.
Les failles de l'être humain le rendent attachant.
Attachant il était, attachant il restera.
*
Aujourd’hui, à mon petit déjeuner, j’ai avalé un clown. C’est dur à digérer.
Digérer cette chose infâme, jamais ! La vengeance est un plat qui se mange froid comme...
Comme la plupart s’amusait avec les enfants.
Enfants et adultes étaient rassemblés autour du feu.
Feu, tout brûle, tout n’est que désastre, ruines, larmes, sang mais je t’aime.
Aime, aimons, aimez-vous tous !
Tous unis contre les injustices, la vie chère et les poux dans la tête !
Logo-rallye
emberlificoter, curieux, impossible, désopilant, camion, irradier, balayette, maison, souris, lumière
Dan a le don pour tout emberlificoter. C'est curieux de voir comme rien n'est jamais simple en sa compagnie.
Vous en voulez un exemple ? On décide avec les copains d'une rando à vélo en baie de Somme. Rien d'impossible à organiser, pas vrai, surtout pour des vieux potes comme nous. Nous voilà donc rendus au camping de Cayeux le temps d'un week-end. Direction la plage, pour un bon pique-nique, on a la table, les chaises, les glacières, les bières, rien oublié, tout baigne.
Mais Dan a une idée. Comme toujours. C'est notre Gaston Lagaffe en quelque sorte. Il décrète qu'on n'est pas venus jusque-là pour voir les phoques de loin, juste avec les jumelles. Pas fun ! Alors nous voilà tous à nager jusqu'au rocher où ils se prélassent au soleil comme des nababs. Mais les phoques ne l'entendent pas de cette ouïe ! Le plus gros, le chef certainement, belle moustache, donne le signal de l'attaque !
Ils nous chargent, les cons ! On ne fait pas le poids, c'est la débandade ! De voir ces malins de Parigots filer devant ces grosses bestioles, désopilant, hein,ça a dû les faire marrer, sur la plage. Un camion a même ralenti et le type au volant a crié, Alors les gars, on s'entraîne pour le Téléthon ? Je ne dirais pas qu'on irradiait de joie à ce moment-là. Plutôt péteux, oui. On n'a pas traîné sur le sable.
À peine arrivé devant la tente, Frédo a commencé à bombarder Dan de tout ce qui lui tombait sous la main. Vlam, la balayette lui a fendu l'arcade sourcilière. On a fini aux urgences, ça pissait le sang, l'interne l'a recousu. Il était piteux. Nous aussi.
Le dimanche soir de retour à la maison, quand j'ai raconté ça à ma Souris, elle a bien ri, Vous ne changerez jamais, encore tous des gamins à cinquante balais ! J'ai levé les yeux au plafond. L'effet cinétique de la boule-miroir à facettes m'a aveuglé de lumière. J'avais oublié qu'il ne faut pas la regarder en face.
Muriel
Cette nuit-là, Tom, qui devait, dès le matin, rencontrer le responsable de l’agence immobilière, afin de finaliser l’achat de la maison de ses rêves, ne put dormir.
Il avait tellement peur de se faire emberlificoter le lendemain qu’il se tourna et se retourna dans son lit, tant et si bien que, chose curieuse, il lui fut impossible de détourner son esprit de cette idée fixe.
Afin de s’en débarrasser, il se raconta à lui-même des blagues qui eussent été désopilantes en temps normal. Malheureusement, la silhouette menaçante de l’agent immobilier bloquait son esprit comme un camion-poubelle dans une ruelle étroite.
Ne voulant pas se faire irradier par cette image aveuglante qui tuait son sommeil, il se leva, prit une éponge et une balayette et se mit en tête de nettoyer la maison.
Il voulut commencer par la salle de bains, mais quelle ne fut pas sa surprise de déceler par une sorte de cinquième sens un léger bruit fuyant autour de la baignoire. Il se baissa et aperçut un couple de souris qui tournait autour de la baignoire en cercles concentriques. Afin de mieux saisir l’irrationnel de la situation, il alluma la lumière et vit, non pas deux, mais une dizaine de souris.
Sa nuit était décidément fichue.
La suite ne dit pas ce qu’il advint de l’entrevue avec l’agent immobilier.
Patrice
Journal de bord
Voyage d’une balle de tennis
Je suis un être peu commun. Vous n’allez pas me croire si je vous le dis. Allez, je me lance :
J’étais une mouche dans une vie antérieure.
C’était le début de l’été. Je me trouvais non loin du Bois de Boulogne. Je me déplaçais sur une terre entre le roux et le rouge.
Il y avait de très nombreux êtres humains autour de moi, dans des gradins. Sur la terre, seules quelques personnes s’affairaient, courant à gauche, à droite, presque sans arrêt.
Après avoir voleté et couru sur quelques bras et quelques épaules ruisselant de sueur, et échappé de justesse aux claques destinées à m’écraser, je m’étais posée sur cette terre rouge qui semblait tellement plus rassurante.
Subitement, alors que je trottinais tranquillement, la foudre s’abattit sur moi et, pendant un millième de secondes, je disparus de la vie.
Et me voilà devenue partie intégrante d’un ensemble jaune citron, incrustée dans un nom écrit en noir : DUNLOP. J’étais dans le O de Dunlop.
Et, d’un seul coup, je me retrouve dans la main d’un garçonnet qui me lance en direction d’une sorte de géant. Le géant me saisit au vol, m’enfouit dans la poche de son short où je reste quelques secondes. Puis il me saisit sans aménité, s’avance, s’arrête, me lance en l’air à quatre mètres et me balance une baffe d’une force herculéenne qui me propulse à plus de 200 km/h sur un filet où je m’écrase, complètement évanouie.
Au bout de trois secondes, je renais à la vie et me retrouve encore dans la main d’un adolescent qui me relance au même géant.
Celui-ci, cette fois, ne me met pas dans sa poche mais me lance en l’air tout de suite, me colle une torgnole pas piquée des hannetons et me voilà à trente mètres, tout de suite agressée par une gifle décochée par un autre géant qui me renvoie vers le premier, lequel me tape, certes moins fort, mais me fait tourner autour de moi-même. Je rebondis mais vers l’arrière, et par la grâce du dieu des balles de tennis, l’autre géant, qui voulait encore me taper, me rate et je tombe mollement à terre. A ce rythme je crois que je ne vais plus vivre longtemps.
Comme mouche, j’étais libre même si la vie pouvait être courte mais, comme balle de tennis, je vais devoir supporter des claques toute ma vie. Et ça, il n’en est pas question. Je vais « crever » et puis ce sera fini.
Patrice
*****
Journal de bord d'une exploratrice
1e minute. Nuit
Je suis tombée de mon nid douillet ce matin. Plus exactement, je me suis laissée tomber. Depuis le temps qu'on dérivait toutes ensemble, j'avais pu mûrir mon projet. J'en avais assez de cette promiscuité, toujours collées les unes aux autres comme des moisissures. J'ai pris soin de me métamorphoser en m'extrayant lentement du magma gris. J'ai adopté une forme harmonieuse très jolie. Une pointe au sommet, deux courbes s'évasant se rejoignant dans un bel arrondi ventral. Du plus bel effet. Et le tout léger comme une plume.
Adieu, Goutte d'eau, bon voyage ! ont crié mes compagnes. Une voisine s'est exclamée, attends-moi ! Mais il m'était impossible d'attendre, ma pointe s'était déjà détachée, un vent doux m'emportait. Je volais !
20e minute.
Aube
J'ai dérivé un certain temps. Au début tout était sombre et confus. Mais au lever du jour j'ai aperçu une grande tache verte qui se balançait mollement dans le vent, très attirante. Qu'est-ce que cela pouvait être ? Par chance, j'ai atterri en plein coeur, je ne pouvais mieux espérer.
C'était étrange. Je percevais des vibrations inconnues, qui me traversaient. Et plus merveilleux encore, ces vibrations, je les ai comprises, aussi bien que les voix de mes compagnes du nuage. Regarde, comme c'est joli, cette goutte de rosée sur la feuille de bananier ! a dit une petite voix.
Viens, ne traîne pas, a dit une voix plus rêche, il faut rentrer au village, ce n'est pas la rosée, c'est une grosse goutte de pluie, regarde les nuages qui se rapprochent !
J'ai regardé le ciel. C'était vrai. Mes compagne se pressaient pour me rejoindre. Pas moyen de rester seule longtemps !
25e minute.
Soudain elles se sont abattues sur la feuille comme des sauterelles. Quel tintamarre ! Un martèlement comme je n'en avais pas entendu là-haut. Toutes nous nous sommes mises à rebondir joyeusement ! Certaines tombaient de la feuille. Venez, venez, criaient-elles, c'est amusant ici aussi ! J'ai glissé à mon tour, vexée de n'être pas la première. C'était mon voyage !
Il y avait des choses bizarres en effet. Une tache claire miroitait qui reflétait ce qui restait de notre nuage. Les autres gouttes y tombaient, rebondissaient puis disparaissaient. Soudain une espèce de monstre vert a surgi. Il sautait sur ses appendices verts qui se détendaient puis se repliaient sous lui. J'ai eu un frisson en sentant sur moi le regard globuleux de ce monstre répugnant.
26e minute
Je faiblis. Je m'enfonce dans le miroir. Je redeviens informe. Je me perds dans le magma plus humide encore que mon nuage. Déjà...
Muriel