À partir de 4 éléments imposés
un château en ruine ; dans un futur très proche ; une bouée ; un fleuriste ; Nostradamus.
Dans un futur très proche, demain pour être précis, les Français seront autorisés à sortir dans la rue sans se masquer le visage. Et ce simple changement matériel aura des conséquences lointaines, inattendues, parfois même dangereuses, comme l’avait prédit Nostradamus dans son célèbre ouvrage. Sa prophétie la plus déroutante, selon laquelle « le fleuriste ôtera sa bouée pour entrer dans le château en ruine » (je vous donne ici une traduction en français moderne), cette prophétie trouvera sa réalisation ici même, dans notre beau village de Poussinet-les-Abricots, demain 17 juin.
J’ai moi-même interprété chaque élément de la prophétie, en me référant aux plus hautes autorités ésotériques. Et il est évident que le personnage du « fleuriste » est en fait notre thanatopracteur Edouard La Fleur. Demain, comme nous tous, Edouard pourra tomber le masque – ou, selon l’expression de Nostradamus, « ôter sa bouée ». Il ira ainsi tête nue dans notre cimetière où il rend régulièrement visite à ses anciens clients ; et là il fera une rencontre décisive pour lui et pour notre village tout entier. Sur la tombe du vicomte décédé l’an dernier, il remarquera un bouquet de fleurs ; plus loin sur le chemin il verra la veuve en train de s’éloigner. La vicomtesse n’appréciera peut-être pas d’être désignée par les mots « château en ruine », mais il faut y voir un hommage à son rang autant qu’une discrète référence à son âge ; et après tout Edouard n’est pas non plus un perdreau de l’année.
Bref, comme annoncé par l’extraordinaire Nostradamus, demain la vicomtesse verra enfin le visage du thanatopracteur, et réciproquement ; et de cette vision naitra un doux sentiment qui, de fil en aiguille, contribuera à repeupler notre beau village.
C’était La Prédiction Quotidienne du Futur Très Très Proche, par Le Mage Presbyte, mercredi 16 juin.
Vanessa
Un grain de sable
Quand ils entendaient la maman de Théo l’appeler « mon petit grain de sable », les gens souriaient affectueusement, croyant entendre un mignon surnom d’amour. Mais la maman de Théo ne souriait pas, et le petit nom qu’elle donnait à son fils n’avait pour elle rien de poétique.
Théo avait été le grain de sable dans la machine de sa vie dès le début, avant même sa naissance. Alors qu’il n’était qu’une lointaine possibilité, il était déjà un sujet de dispute dans le couple qu’Elsa formait avec son mari Thibaud. Il voulait un enfant, elle hésitait. Puis elle tomba enceinte, et les rôles s’inversèrent : elle accueillit cette grossesse, Thibaud trouva que ce n’était pas le moment, ils divorcèrent. Elle était déçue ; elle avait prévu de fonder une famille avec son amour de jeunesse, ils étaient sur le point d’acheter une maison, mais un grain de sable était venu enrayer la machine, et elle se retrouvait seule avec un môme.
Puis son petit grain de sable eut des difficultés à sortir de son ventre, à entrer à la crèche, à faire ses lacets, il y avait toujours un problème, la vie d’Elsa ne se déroula plus jamais sereinement comme une machine bien huilée.
Théo grandit bon an mal an, peiné par les reproches de sa mère, mais conservant une vision optimiste des choses. « Après tout, se disait-il, un grain de sable est un élément tout aussi primordial qu’un autre sur cette terre ». Cette réflexion se développa en une véritable philosophie de vie.
Devenu adulte, Théo se dirigea vers les sciences humaines, et il publia un livre de développement personnel intitulé Valorisez le grain de sable qui est en vous. Il en offrit un exemplaire dédicacé à sa mère. Elsa se demanda si elle devait se vexer ou admirer la revanche de son petit grain de sable.
Vanessa