C’est parce que tu es un extra-terrestre dans un corps humain.
Je suis le meilleur.
Je donnerai tous mes biens à mon canari après ma mort.
C’est parce que tu as envie de connaître autre chose.
Bientôt je serai en voyage en Belgique.
C’est parce que tu n’y connais rien en ornithologie.
Je me suis longtemps assis de bonne heure.
C’est parce que tu as fait de longues études.
Je ne mange que des plats délicieux.
Je suis une grande artiste d’art contemporain.
C’est parce que tu as un certain âge.
Je vais bien sûr te raconter l’histoire de la brebis Chouquette.
C’est parce que u refuses de suivre les règles.
Un objet se raconte
Je suis une cuvette de WC.
Je peux vous dire que j'en vois des vertes et des pas mûres, des beaux et des flétris. C'est la vie !
C'est ma vie de cuvette de WC.
A vrai dire, c'est plutôt reposant. Les propriétaires sont souvent absents. Ils travaillent. Paraît-il. Mouais! A mon avis, ils glandent beaucoup. Je dis cela parce que Monsieur revient souvent me rendre visite. Bon, c'est vrai aussi que le temps est une notion qui m'échappe.
Ce qui me plaît beaucoup, c'est l'heure de la toilette. Idalina, la bonne, m'a à la bonne. Elle m'envoie un bon jet de Canard WC et, délicatement, me brosse les joues, les lèvres et le fond de gorge. Là ça me chatouille. J'adore !
Surtout Idalina, ne me quitte pas !
Jacques-André
Franchement, je suis mort de rire. Ça fait dix ans que je le supporte jour et nuit. J’entends ces conversations sur les fesses de ses usagers noyées dans les gargouillis des bruits de chasse. Je ne sais pas pour qui il se prend, mais il pète plus haut que son cul.
Vu son activité professionnelle, il devrait être beaucoup plus humble ! Est-ce que je la ramène, moi ? Non, j’attends stoïquement qu’on m’effeuille puis qu’on remplace mon compagnon temporaire, le rouleau.
Jean-Pierre
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De tous les habitants de cette boîte à lunettes, je suis celle qui a la plus longue et passionnante histoire.
Pour commencer, vous vous demandez peut-être ce qu’est une boite à lunettes. Je ne parle pas d’un étui élégant en simili-cuir, mais d’une grosse boîte en carton dans laquelle moi-même et mes consoeurs ont été jetées pêle-mêle au fil des années. Certaines ont été victimes des changements dans la mode féminine, comme la paire de lunettes papillon et celle qui marquait le retour des années 70 avec un format démesuré.
D’autres, comme moi, ont subi les changements de vision de notre propriétaire. Je suis une excellente correctrice de myopie, mais je ne prends pas en charge la presbytie. C’est ainsi qu’après six ans de service je me suis retrouvée dans la boîte à lunettes.
Et puis un jour la dame a rouvert la boîte et m’a ressortie! J’ai vu sur son bureau une parie de fines lunettes Armani en titane, cassée en deux. Armani ou pas, la qualité n’est pas toujours au rendez-vous… Devant le désastre, ma propriétaire a été bien contente de retrouver des lunettes solides, élégantes et bien conçues, à savoir moi-même. J’ai toujours su que j’étais au-dessus du lot. C’est ce que la vendeuse disait à tous ses clients:
« Oui, les Stepper sont un peu plus chères, mais la qualité est à ce prix. Voyez cette touche de doré sur les branches, ce motif écailles de tortue, cette forme légèrement ovale… D’ailleurs votre mutuelle couvre une grande partie des frais, et je vous offre en plus une paire de solaires. »
La paire de solaires a disparu l’été suivant sur la plage du Touquet. Mais moi je suis toujours là! Et ma propriétaire est bien contente de me retrouver. Ce matin nous avons même reçu un compliment, comme si nous étions une nouvelle paire. J’espère juste que sa presbytie ne s’aggravera pas trop vite; je ne tiens pas à rejoindre la grande boîte définitivement.
Mais il paraît qu’un jour nous serons données à une association et que nous partirons en Afrique. Ça me plairait bien. J’adore voyager!
Vanessa
Il nous faut avouer quelque chose de très douloureux : nous sommes un couple qui vit séparé depuis le début de notre existence. Nous avons été inventées pour satisfaire les besoins soi-disant esthétiques de certaines personnes qui ne supportaient pas de montrer au monde entier qu’elles avaient des problèmes de vue.
Avant nous, les lunettes permettaient aux myopes, presbytes, hypermétropes et autres de pouvoir s’adapter à leur environnement.
Les lunettes étaient toujours ensemble, posées sur le même nez et les mêmes oreilles, aidant les mêmes yeux à voir de près, de loin, en haut, en bas…
Si elles tombaient et se cassaient elles mouraient ensemble et pouvaient même être réparées.
Nous sommes les lentilles. Pour permettre à ceux et celles qui ne supportent pas les montures et les verres, on nous colle sur chaque œil. Encore une obligation induite par ces horribles êtres soi-disant humains.
Il y aurait long à dire…
Patrice
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Quand je suis né j’étais au milieu des bois et n’avais aucune idée de ce que l’avenir me réservait.
Vous me direz que j’aurais pu me réjouir de cet environnement mais… je n’ai aucune idée de la manière dont j’ai été conçu, et le doute subsiste toujours.
J’ai deux siècles aujourd’hui et les jours se suivent et se ressemblent depuis le début. Tout dépend de l’aspect extérieur de ceux qui me voient, me choisissent et m’utilisent.
Il y a les délicats qui se posent gentiment sur moi, il y a les indifférents qui n’ont aucune attention particulière à mon égard, et il y a les violents qui m’agressent et me font vivre les pires des supplices autant par leur arrivée brutale que par leur séjour plus ou moins prolongé sur mon dos.
Imaginez que depuis deux siècles je passe ma vie à recevoir des fessiers de toutes tailles et de tous poids.
C’est pourquoi je préfère de loin les enfants qui, certes, bougent sans arrêt mais sont finalement toujours légers.
J’aurais quand même aimé servir à autre chose qu’à supporter le poids des êtres humains.
Je suis une chaise construite au 19ème siècle dans la rue du Faubourg Saint Antoine.
Patrice
Je trouve cette chaise bien arrogante. Après tout, elle n’est qu’un objet destiné à recevoir des fessiers, il n’y a pas de quoi se vanter. Elle se croit ancienne, mais le 19e siècle c’était hier. Pour ma part, j’ai été tissée et brodée sous Louis XV. Eh oui, louis XV, parfaitement! Je suis une nappe de grande beauté, d’un blanc crémeux bordée de dentelles délicates avec des petites fleurs rose pâle. On me sort pour les fêtes et on me lave délicatement, depuis quatre siècles.
Un jour j’ai subi l’affront d’une tache de sauce rouge (tomate, poivron et autres horreurs). On m’a aussitôt amenée dans un service d’urgence, où j’ai été tamponnées d’une poudre spéciale, re-tamponnée, puis relavée entièrement à la main. La tache a disparu, mais je garde des séquelles psychologiques de cet événement. Alors, les lamentations d’une chaise en bois, franchement, il en faudrait plus pour m’impressionner!
Vanessa
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Réponse au texte d'Annie sur les assiettes
Eh bien, elles en prennent de la place, les grosses. Il est vrai qu'elles sont en famille, ces assiettes. Mais elles ne sont pas aussi délicates que je le suis.
J'ai été offert le jour du mariage de Léontine et Albert, le 4 juillet 1950. Une belle journée. Les foins étaient passés. Albert avait décidé : « Ce sera le 4 juillet ».
A l'époque, pas de listes de mariage ni de tralala. Chacun venait et apportait de quoi se sustenter. La Berthe avait fait … une choucroute ! En plein été ! Tout le monde avait ri. Et tout le monde avait dégusté la choucroute.
Les cadeaux aux mariés étaient rares. Victor, le témoin d'Albert, « l'Instituteur » comme on l'appelait, avait offert un magnifique verre de mariage, en baccarat, avait-il précisé aux mariés. Ce nom exotique n'inspirait personne mais nul n'avait moufté.
Sur le verre, les prénoms de Léontine et d'Albert avaient été finement gravés. Des épis de blé, synonyme de richesse promise aux mariés, entrelaçaient les prénoms. Un « Oh ! » général avait surgi des gorges de l'assistance. Léontine avait rosi, Albert étreint Victor.
Passé ce moment de gloire, j'ai été longtemps posé sur le plateau de la cheminée. Léontine essuyait régulièrement le globe qui me protégeait.
Le temps a passé. On m'a remisé dans le placard, sans mon globe de protection, à côté de ces assiettes de céramique grossière. Pffff !
Jacques-André
À propos d'une odeur
Les temps étaient difficiles.
Ils vivaient dans un 23 m2 en plein quartier de Belleville. A l'époque – les années d'après-guerre – Paris, et a fortiori Belleville en particulier, n'avait pas encore connu les réhabilitations successives qui ont éliminé beaucoup de grisaille, de noirceur sur les murs de la ville. Parfois au moyen de destructions complètes pour rebâtir ou, à l'occasion, créer un immense parc, comme celui de Belleville, justement.
Les commerces étaient tenus par des individus qui géraient leur propre affaire, y mettant amour du métier et compétence avec les moyens du bord. Les supérettes n'existaient pas encore.
Le quartier où ils habitaient connaissait ainsi un alignement de commerces tous plus variés les uns que les autres. Chacun s'efforçait de faire au mieux pour la décoration intérieure, avec des matériaux simples et de bon goût, destinés à faire oublier la grisaille à l'extérieur.
Eux deux travaillaient de longues journées, six jours sur sept. Restait le dimanche. Pour certains, le jour de la messe, pour d'autres, celui de traîner au lit.
Son grand plaisir à lui, au sortir du lit, était d'ouvrir la fenêtre par laquelle entrait l'odeur du pain frais et des croissants chauds. Simple bonheur dominical mais qui est resté en mémoire et transmis aux suivants.
Cette odeur de boulangerie, située juste en bas de l'immeuble, était de la couleur dans la grisaille, un temps de paix d'après bataille.
Généralement, c'était lui qui descendait chercher de quoi faire du petit-déjeuner une vraie fête partagée.
Ils en riaient, humant l'odeur entrée par la fenêtre, mordant avec délice dans la baguette croustillante et les croissants dorés, ceux-ci augmentant le goût du café chaud, lui-même révélant celui du pain.
Généralement, c'était suivi d'un retour au lit.
Jacques-André
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Je veux oublier toutes les mauvaises odeurs qui nous entourent et me concentrer sur celles qui m’ont aidé à construire mon goût pour les bonnes choses. Je ne parle ici ni des parfums ni des bons vins que j’aime. Non, je veux aider mon esprit à se souvenir des bonnes odeurs de la cuisine de ma maman quand elle préparait certains repas et en particulier un repas qu’elle confectionnait trois fois par an : la pkeila.
A priori les ingrédients de ce plat ne peuvent pas forcément susciter l’enthousiasme des narines : épinards, viande de bœuf, pieds de veaux ou de bœuf, coriandre, menthe, haricots blancs.
Ce mélange provoque pendant sa préparation et sa cuisson une odeur venant du paradis… en tout cas dans ma mémoire.
Aussi longtemps que j’ai vécu avec mes parents et lors de mes visites régulières chez eux lorsque j’étais adulte, l’odeur de ce repas me ravissait subjectivement.
Epinards confits après avoir été tournés et retournés dans la poêle jusqu’à devenir noirs, mariage à priori inenvisageable avec la joue de bœuf, les pieds de veaux, les haricots blancs, la coriandre et la menthe. Peu de gens peuvent imaginer s’ils ne l’ont pas connu, quel parfum ce mélange improbable peut créer.
Pour moi c’est une odeur gravée au plus profond de mon corps et ma mémoire.
Pour l’anniversaire de ma fille qui aura lieu ce mois, j’ai décidé de cuisiner de nouveau cette pkeila pour essayer de faire découvrir à mes enfants et petits-enfants la magie de cette odeur divine.
J’ai donc acheté tous les ingrédients et me prépare à passer au moins 4 heures dans ma cuisine.
Patrice
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À l’hôpital où je travaille, quand je sors de mon bureau vers midi (l’heure des traitements), mes narines sont envahies par des odeurs de cuisine collective. Je reconnais le gratin de chou-fleur, les lentilles, le poisson (blanc, probablement).Parfois c’est odorant mais difficile à deviner; parfois ça ne sent presque rien, parfois ça pue.
Et je retrouve mes impressions d’enfant puis adolescente puis étudiante, toutes ces cantines qui venaient à nous par l’odeur avant même qu’on y entre. Des souvenirs d’épinards et de foie qui repartaient intacts en cuisine, des frites les jours de fête, des plats traditionnels revisites à l’économie comme la blanquette de veau.
Et je songe à nos modes de vie actuels, aux établissements où on nous dépose quand nous sommes malades ou très vieux, où on nous sert à nouveau des épinards trop cuits, du poisson blanc et des endives, on on n’a pas le choix du menu, et je songe que je serai une bien mauvaise résidente, snobant la plupart des repas et me faisant apporter des pains aux raisins par mes visiteurs.
À moins de tomber sur un chouette établissement avec un potager et un vrai cuisinier, plutôt que des barquettes réchauffées au micro-ondes.